Pierrick Auvray, intervenu lors de la rencontre entreprises-docteurs que j'avais mentionnée ici a bien voulu nous accorder un entretien pour approfondir les liens entre son expérience de chercheur et celle de manager. Voici quelques passages de cet entretien qui peuvent alimenter notre controverse.
Il nous décrit ses motivations de jeune chercheur, sa stratégie pour compléter ses compétences par des formations complémentaires et par l'expérience, comment son métier de manager a modifié ses rôles dans la recherche. Bien entendu, nous lui avons aussi demandé quelques conseils pour les doctorants et ceux qui les encadrent.
Pouvez-vous tout d'abord présenter votre trajectoire ?
J'ai obtenu mon doctorat en cancérologie à Caen en 1998. Mon objectif a toujours été de réaliser des travaux applicables dans l'industrie pharmaceutique. J'avais même choisi mon DEA dans cette optique, ce qui nécessitait de quitter la région Ouest pour un temps. Pour moi être chercheur est un vrai métier, et pas uniquement un enjeu de développement de savoirs spécialisés.
Il me fallait une vraie stratégie pour ne pas laisser le terrain aux pharmaciens, qui « trustaient » les emplois industriels à l'époque.
Une entreprise de l'Est de la France m'avait fait comprendre que certaines compétences complémentaires (modèle animaux) me seraient nécessaires pour envisager une collaboration. J'ai donc mis à profit un Post-Doc pour développer mon réseau de contacts professionnels et ces compétences, qui me seraient utiles, qu'il y ait ou non recrutement dans cette entreprise.
Celle-ci m'a néanmoins effectivement recruté un an plus tard, plus sur ces compétences que sur mon CV détaillé (mes publications, mes recherches en thèse), dont elle n'avait que faire. Deux ans plus tard, elle allait me confier la gestion du département, ce qui allait me permettre d'acquérir de nouveaux savoir-faire. J'y suis en fait resté 4 ans, en partie pour des raisons personnelles et familiales.
Ce qui vous a conduit à la création d'entreprise ?
Pendant mon post-doc, j'avais eu un premier projet de création d'entreprise avec cinq collègues, tous débutants, et sans doute trop focalisé sur la recherche académique. Nous avons abandonné ce projet, compte tenu de la difficulté d'en évaluer les risques.
En 2003, j'ai créé une première entreprise, C.RIS Pharma, entièrement financée sur fonds propres. J'avais en effet l'intention d'aller vite, et donc ne pas dépendre de délais de décision de tiers. J'avais défini une stratégie de développement progressif, avec des indicateurs à six mois me permettant de savoir si je devais arrêter ou non, en sachant précisément ce que cela me coûterait. Depuis, j'ai créé deux autres structures dans la même logique.
Comment conciliez-vous les deux métiers de chercheur et de manager ?
Nos clients sont des chercheurs, et donc indispensable de pouvoir leur tenir un discours scientifique solide. Mais j'ai dû renoncer à conduire le travail opérationnel de recherche, que j'ai confié aux collaborateurs recrutés assez rapidement. Je dirais qu'aujourd'hui je consacre 20 % du temps à piloter l'approche scientifique, et 80 % à la gestion des entreprises : finance, ressources humaines, stratégie, relations commerciales...
La transition a-t-elle été difficile ?
Le plus difficile a sans doute été de surmonter ma timidité.
Être le plus possible sur le terrain, dans l'action concrète et pratique, a été ma meilleure école.
J'ai sans doute fait des erreurs, perdu du temps, mais c'est ainsi que j'ai appris.
Je me suis aussi aperçu rapidement que je ne pouvais pas rester seul pour réfléchir, je me suis donc investi dans un certain nombre de réseaux professionnels liés au territoire (plate-forme d'initiative locale, réseau entreprendre, chambre de commerce, incubateurs…). Ils m'aident à prendre du recul, à voir plus large, et c'est aussi utile à mon entreprise.
Quels conseils donneriez-vous à un chercheur qui souhaite évoluer vers le management, se lancer dans l'entrepreneuriat, et peut-être à ses encadrants ?
Tous, à commencer par ces derniers, devraient se donner un maximum d'occasions d'aller voir ce qui se passe en entreprise, comprendre les enjeux et contraintes du monde industriel.
Il est très difficile de se positionner comme manager tout en voulant rester chercheur, au sens de réaliser la recherche. Chercheur est un métier à plein temps.
Pour devenir manager dans des structures existantes ou en tant qu'entrepreneur, il me semble essentiel de se confronter très tôt aux réalités du marché, éviter le confort d'une recherche sans contradicteur, et même le « cocooning » parfois dangereux d'un accompagnement ou d'un encadrement trop protecteur.
Enfin, il faut croire à son projet, ne pas compter sur des aides ou des « prix » pour avancer, dépendre le moins possible de circuits de décision que vous ne maîtrisez pas.
Un mot de conclusion ?
Je conserve de l'expérience de chercheur une curiosité permanente, la volonté d'apprendre quelque chose tous les jours. C'est quelque chose de vital qui me reste de mon parcours académique.
Entretien réalisé par Thierry Merle le 21 octobre 2011. Ceci n'est qu'un extrait de cet échange, qui fourmille d'anecdotes. P. Auvray les partagera peut-être de nouveau lors des rencontres physiques que nous envisageons, en Bretagne ou ailleurs...
Pour découvrir ses entreprises, voir www.c-rispharma.com, www.cellispharma.com, www.kelia-pharma.com
très enrichissant ce temoignage, je vous remercie pour ce poste. je suis un étudiant en master 2 pro en reseau telecom. je suis dans une sorte de carefour, j'aimerai poursuivre pour une option recherche, en meme temps j'ai envi d'avoir une experience professionnelle pour savoir comment affronter la vraie vie. rechercher parce que je souhaite etre un docteur. donc ce blog, est tres enrichissant pour moi car je souhaite etre un docteur qui travaille dans une société.
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